Vous avez dit pragmatiste ?*

François Pellerin et Marie Laure Cahier

François Pellerin
15 min readOct 20, 2021

Si la notion de pragmatisme est bien connue, la philosophie qui la sous-tend l’est beaucoup moins, en particulier en France. Dans le monde du travail et du management, la philosophie pragmatiste a pourtant profondément influencé le toyotisme, mais aussi les nouvelles façons de travailler à l'heure du numérique : autonomie, test and Learn, primauté des données sur les opinions, collaboration… Elle s'oppose au rationalisme cartésien, inspirateur du taylorisme, qui imprègne profondément la culture française. Cette opposition rationalisme vs. pragmatisme est une clé de lecture puissante pour le monde qui vient. Un nouvel extrait de notre ouvrage “Le design du travail en action”

*Cet article a trouvé sa source d’inspiration dans l’ouvrage fondamental de Philippe Lorino, Pragmatisme et étude des organisations, Economica, 2020, auquel nous renvoyons, ainsi que dans son intervention orale à l’ESG UQAM de Montréal.

Les pères fondateurs de la philosophie pragmatiste de haut en bas et de gauche à droite : Charles Sanders Peirce, William James, John Dewey, George Herbert Mead. [1]

Le design du travail est une démarche éminemment pragmatiste — et pas seulement pragmatique. Quels enjeux pour le pragmatisme dans les organisations au XXIe siècle ?

La philosophie pragmatiste [2] est née comme une pensée critique qui nécessite de comprendre d’abord à quoi elle s’oppose : la philosophie idéaliste / rationaliste. Petite incursion philosophique.

Idéalisme, rationalisme, cognitivisme

Depuis Platon et Aristote, la représentation logique, l’enchaînement causal, fonde la connaissance. La représentation abstraite d’une chose est supérieure au jugement empirique porté sur cette chose, ce dernier pouvant aussi bien être une opinion vraie qu’une opinion fausse. Par exemple, je vois un bâton cassé à travers l’eau, mais je découvre qu’en réalité, il s’agit d’un effet optique. Il convient donc de se méfier des jugements causés par nos sens et de s’affranchir des préjugés que produit l’expérience.

Descartes viendra prolonger ces lignes. Pour se débarrasser des préjugés issus de l’expérience humaine, le sujet doit se couper du monde pour exercer sa pensée fondée sur le doute et la raison, afin de produire des représentations logiques et, idéalement, mathématisables. Le dualisme est né, séparant pour plusieurs siècles la pensée et l’expérience, avec des conséquences assez bien connues sur le fonctionnement des organisations : l’intelligence de l’activité sera pensée à l’extérieur de l’activité, selon un programme rationnel.

Arrive là-dessus un penseur extraordinaire, Herbert Simon, à la fois chercheur sur les organisations mais aussi sur les systèmes d’information, qui vient en quelque sorte sauver le cartésianisme, en l’aménageant. Pour Simon, face à la complexité, il est effectivement difficile de représenter la réalité par des modèles ex-ante, mais il est en revanche possible de mettre en place des procédures de raisonnement ou des programmes procéduraux qui permettent de mutualiser et de traiter l’information au fur et à mesure où elle nous arrive. Simon parle de « computation », c’est-à-dire de la capacité pour une organisation, à la manière du cerveau, de traiter l’information par des processus logiques, basés sur des représentations communes et partagées. Le cognitivisme devient un nouveau paradigme, mais il ne rompt pas avec Descartes : l’action est toujours le produit nécessaire de représentations logiques.

La naissance des pragmatistes

En 1872, douze anciens diplômés de Harvard férus de philosophie se réunissent une dizaine de fois sous l’étiquette ironique de « The Metaphysical Club » : ironique, car ils n’ont en fait nullement l’intention de réfléchir à la métaphysique, mais plutôt de construire un nouveau courant philosophique opposé à celle-ci et adapté à leur temps. Les figures de cette philosophie américaine seront Charles Sanders Peirce, William James et, un peu plus tard, John Dewey.

Qu’est-ce qui caractérise leur temps ? Ils sortent tout juste de la Guerre de Sécession qui a tué un homme américain sur douze au nom de représentations du monde différentes ; les innovations technologiques se succèdent à grande vitesse, telles que le chemin de fer, le téléphone de Bell, la lampe à incandescence d’Edison, le phonographe, la première caméra de prise de vue cinématographique ; la croissance est aussi faramineuse que l’immigration vers les États-Unis est massive. L’Origine des espèces de Darwin (1859) a permis de découvrir que l’évolution de la vie est un processus continu et mouvant, et que l’homme n’est pas une exception de la création mais fonctionne comme les autres espèces vivantes. Cet ouvrage sera l’une des sources pour le développement d’une conscience écologique aux États-Unis. Ce contexte général inspire les membres du Metaphysical Club dans leur tentative de se projeter vers le futur.

Selon les pragmatistes, il importe d’explorer tous les effets pratiques des théories. Quelle différence cela ferait-il en pratique si telle option plutôt que telle autre était vraie ? s’interrogent-ils. Les idées étant des instruments socialement construits (des croyances contingentes et relatives), il faut les mettre à l’épreuve à travers l’expérimentation sociale. La philosophie doit reproduire dans le domaine sociopolitique ce que la science moderne accomplit dans le domaine technologique. De cette philosophie complexe et débattue, retenons ce qui intéresse notre propos : le pragmatisme rejette le dualisme cartésien. Pour les pragmatistes, pensée et action sont inséparables : penser, c’est agir, et agir, c’est penser. Pour comprendre le réel, il faut tenter de le transformer. C’est en tentant de résoudre les problèmes qu’on en saisit les causes et les racines. Leur méthode ? Enquêter, expérimenter, explorer (voir encadré). Sur le plan philosophique, la réception du pragmatisme dans la France cartésienne sera globalement très critique (« une ploucquerie américaine »[1]).

L’enquête pragmatiste : du doute à la croyance[2]

L’enquête est le processus social par lequel des habitudes[3] sont transformées, adaptées, abandonnées ou réinventées, à partir d’habitudes mises en échec qui aboutissent à des habitudes renouvelées.

L’enquête démarre sur un doute ou une indétermination. Elle se conclut par une nouvelle croyance[4] qui est, par construction, temporaire. C’est une conviction en l’état des connaissances et dans un contexte donné. Cette nouvelle croyance implique alors de nouvelles habitudes, de nouvelles pratiques, de nouvelles manières de faire.

L’enquête articule différentes phases :

- Problématisation : que cherche-t-on à résoudre ? Cadrage de l’extension spatio- temporelle de l’enquête.

- Construction d’hypothèses (abduction) : quelles causes pourraient-être à l’origine des faits observés ? La cause identifiée est considérée à ce stade comme la théorie explicative la plus plausible.

- Raisonnement logique (déduction) : quelles conséquences aurait l’hypothèse retenue ?

- Expérimentation : test de validité de l’hypothèse et de ses conséquences.

- Analyse du retour d’expérience pour valider de nouvelles hypothèses (raisonnement par induction[5]).

Le processus n’est en fait pas linéaire. Les étapes de l’enquête sont inévitablement récursives et enchevêtrées.

Qui enquête ? Tous les acteurs concernés de manière significative par le thème d’une enquête devraient y prendre part, et, ensemble, construire le récit plausible de la situation et convenir de la suite à donner.

« Les idées sont des outils — comme les fourchettes et les couteaux — que les gens conçoivent pour se débrouiller avec le monde. » Louis Menand [6]

Les pragmatistes s’intéressent particulièrement aux effets qu’induit l’éducation sur le fonctionnement de la société. Dans son ouvrage Democracy and Education[7], John Dewey consacre quelques pages à une critique de l’OST : « La tendance à réduire l’efficience de l’activité et le management scientifique à de purs facteurs techniques externes est la preuve que l’éducation de ceux qui contrôlent l’industrie n’a stimulé chez eux qu’un seul angle de pensée »[8]. Cette critique porte au-delà du taylorisme : elle s’attaque à toutes les approches de l’activité humaine qui sont conçues comme « hétéronomes », c’est-à-dire où l’action est vue comme pure exécution (d’un plan, d’un programme) et où toute intelligence de l’action procède d’une pensée préalable qui lui est extérieure. Dans la conception hétéronome, l’intelligence de l’action est toujours amenée de l’extérieur (consultants, experts, managers, etc.). En revanche, dans la vision pragmatiste, l’intelligence de l’action est produite par ceux qui agissent. On peut prendre comme exemple d’hétéronomie, la conception des programmes scolaires par l’Éducation nationale versus les pédagogies alternatives de type Montessori.

Applications du pragmatisme en gestion : management de la qualité et amélioration continue

« Actors are the thinkers of activity » Taiichi Ohno

Dans les années 1920, un jeune statisticien, Walter Shewhart, disciple des pragmatistes, est embauché à l’usine Western Electric de Hawthorne pour mettre au point un système préventif de contrôle de la qualité, qui deviendra le contrôle statistique des processus (1924). Il insiste sur deux aspects :

- le caractère exploratoire et expérimental de l’action ;

- l’idée que les outils ne peuvent être opératoires que s’ils sont mis au service des opérationnels de terrain.

Il embauche deux jeunes ingénieurs, William E. Deming et Joseph Juran, qui deviendront les pères du mouvement du management par la qualité. Sous l’influence de Deming qui part travailler au Japon, Taiichi Ohno développera ensuite pour Toyota le Toyota Production System (ou TPS) qui se diffusera à travers le monde sous le nom de toyotisme ou Lean manufacturing. Au fondement du système repose la maxime pragmatiste d’Ohno : « les acteurs sont les penseurs de l’activité ».

La roue de Deming

Souvent mal compris, les principes de Shewhart, Deming et Ohno seront par la suite fréquemment dévoyés et « confisqués » par la domination de logiques cognitivistes, consistant à mesurer des écarts par rapport à des modèles rationnels conçus par des experts. Un bon exemple pour saisir ce dévoiement est le destin de la roue de Deming connue sous le nom de PDCA pour Plan, Do, Check, Act. En réalité, la boucle d’origine de Deming s’appelait PDSA et reposait sur une logique expérimentale radicalement différente : la logique de l’enquête (voir figure 1.1).

Figure 1.1 — La roue de Deming : PDSA versus PDCA

Deming se battra jusqu’à sa disparition contre ce dévoiement du PDSA d’inspiration pragmatiste, consistant à le transformer en PDCA d’inspiration idéaliste/rationaliste.

Le TWI

« Dis-le moi et je l’oublierai. Enseigne-le-moi et je m’en souviendrai. Implique-moi et j’apprendrai. » Benjamin Franklin

Le programme TWI (Training Within Industry) a été déployé pendant la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis pour soutenir l’effort de guerre des industries d’armement. Il s’agissait de former massivement du personnel, alors que beaucoup de travailleurs étaient mobilisés et partaient au front. Outil de formation mais aussi de résolution de problèmes et de mise au point du standard, ce programme d’inspiration pragmatiste a fortement influencé l’industrie japonaise en reconstruction après la guerre, et en particulier Toyota. Un peu oublié en Occident, il fait l’objet d’un nouvel intérêt, car il entretient une parenté forte avec la Formation en Situation de Travail (AFEST)[9].

Le TWI est une méthode pédagogique de formation en situation de travail, qui prend racine dans les travaux de Charles Allen aux États-Unis dans son livre The Instructor, The Man and The Job (1919).

La méthode en 4 étapes de Allen — Show, Tell, Do, Check — va connaître un succès retentissant dans les années 1940, et plus d’1,5 million d’hommes et surtout de femmes inexpérimentés vont pouvoir être insérés sur les lignes de production. Le symbole en sera l’affiche de « Rosie la riveteuse », une opératrice formée grâce au TWI, qui deviendra, des années plus tard, une icône des mouvements féministes.

Affiche dite Rosie la riveteuse, « We can do it ! » par J. Howard Miller pour la Westinghouse Electric Company, 1942.

Au-delà d’une méthode de formation accélérée, le TWI permet de construire un langage commun sur les opérations et joue un rôle important dans la transmission des savoirs. On retrouve ici l’importance accordée à la formation-action par les pragmatistes, notamment par Dewey.

Voir aussi cet article sur le déploiement du TWI chez B. Braun

Le TWI a profondément influencé le système de production de Toyota pour les méthodes de mise au point du standard et de formation[10]. En revanche, sa diffusion en France est restée extrêmement limitée jusqu’à récemment. Parmi les raisons qui peuvent l’expliquer, il y a le fait que, dans cette méthode, le standard de production doit être mis au point par les opérateurs. Il s’agit en effet d’un mode opératoire détaillé qui ne peut être réalisé qu’avec eux. La greffe a donc eu du mal à prendre dans notre système idéaliste/rationaliste de séparation pensée-action, qui donne l’exclusivité de la conception du travail aux méthodes.

À travers ces deux exemples, on voit combien le système de pensée utilisé peut transformer la nature même des outils considérés (roue de Deming) ou rendre difficile l’adoption d’une méthode (TWI). L’échec de nombreux projets d’implémentation du Lean management dans les années 1990 et 2000 en France, a certainement de nombreuses causes, mais il nous semble qu’elles prennent racine dans la difficulté de transposer un système de management d’inspiration pragmatiste dans une grille de lecture idéaliste/rationaliste.

Les enjeux du pragmatisme au XXIe siècle pour les organisations

En cette première moitié du XXIe siècle, on peut identifier un renouveau du pragmatisme dans les organisations. Il existe, en effet, une continuité manifeste d’intention entre l’amélioration continue du Toyota Production System et la culture agile des start-up, toutes deux d’inspiration pragmatiste.

La culture digitale affiche une évidente parenté avec la philosophie pragmatiste :

- Se focaliser sur les approches expérimentales plutôt que sur la planification.

- Itérer en boucles de rétroaction rapides.

- Appuyer ses analyses sur des faits / des données plutôt que se baser sur des opinions.

- Tester sans avoir peur d’échouer, l’échec d’une hypothèse contribuant à l’apprentissage (couramment désigné comme « droit à l’erreur » ou « test and learn »).

- Observer les usages pour créer de la valeur client.

- Autonomiser et responsabiliser plutôt que contrôler (subsidiarité plutôt que hiérarchie).

La valeur attribuée à la nouvelle culture agile du digital[11] (voir figure 1.2), désormais endossée et revendiquée par une immense majorité des entreprises, pourrait laisser penser que, au moins sur le plan du discours, le pragmatisme a gagné du terrain dans la vie des organisations.

Figure 1.2 — Les New Ways of Working selon la Digital Factory de Thales[12]

Sur cette figure adaptée de la Digital Factory de Thales qui montre les nouvelles façons de travailler à l’ère digitale, il est frappant de constater que le paradigme que nous quittons (ligne du bas) est d’inspiration idéaliste/rationaliste, alors que le nouveau paradigme (ligne du haut) est d’inspiration pragmatiste.

Cependant, au même moment, ce renouveau du pragmatisme entre en collision avec un renouveau du cognitivisme, symbolisé par les espoirs immenses placés dans le big data et l’intelligence artificielle. La valeur attribuée aux données, protocoles numériques et autres algorithmes de machine learning dans le paradigme du digital et de l’industrie 4.0, donne potentiellement aux modèles rationalistes et cognitivistes une puissance renforcée au sein des organisations. L’asservissement à la donnée — « c’est la donnée qui le dit » (donnée dont on ne sait souvent ni selon quelles hypothèses elle a été analysée ni quels en sont les biais possibles) — pourrait offrir encore moins de marges de manœuvre aux travailleurs que l’ancienne soumission à l’autorité — « c’est le chef qui le dit » (opinion et autorité que l’on peut toujours contester).

Le statut des données est donc assez ambigu. Dans les New Ways of Working du digital, les données sont présentées comme un élément de nature pragmatiste. Elles s’opposent aux opinions de nature idéaliste/rationaliste. Plutôt que des opinions sur la meilleure façon de faire une campagne marketing par e-mail (mise en page, contenu, heure d’envoi…), les entreprises du numérique s’appuient sur des données statistiques obtenues par exemple à travers des campagnes en A-B testing pour valider quelle est la meilleure option. Le résultat n’est pas considéré comme une vérité intangible, mais comme un résultat provisoire en l’état des hypothèses expérimentées. Il s’agit en quelque sorte d’une « enquête », et cette démarche est bien de nature pragmatiste. Mais la tendance à vouloir élargir ce management par la preuve à toutes les dimensions de l’entreprise présente un côté obscur. Si le résultat produit par le traitement des données ne fait l’objet d’aucune analyse ni discussion critique, il s’opère alors un basculement vers un « nouveau cognitivisme » par la donnée. Les erreurs commises en 2015 par l’algorithme de reconnaissance d’images de Google, qui avait classé deux personnes noires dans la catégorie « gorille » et par Flickr qui en avait étiqueté une dans les catégories « Animal » et « Singe », montrent s’il en était besoin que la boîte noire des algorithmes peut produire des résultats aberrants. À côté des erreurs manifestes, on trouve aussi des biais : en 2018, Amazon abandonnait son système de tri automatique de CV après s’être rendu compte que le système rétrogradait systématiquement les CV féminins[13]. Pourquoi un tel comportement ? Parce que les recrutements précédents, c’est-à-dire les données à partir desquelles avait été entraîné le système, étaient quasi exclusivement constituée de profils masculins : le système d’IA reproduisait les « biais » antérieurs. On voit donc que non seulement les données initiales servant au corpus d’entraînement ne sont pas « neutres » mais peuvent être biaisées par des comportements passés, mais encore que l’algorithme lui-même (souvent secret) peut venir renforcer les tendances principales contenues dans les données d’entraînement. « […] la possibilité de traiter des données plus abondantes au moyen d’algorithmes plus pointus renforce l’espoir que les situations peuvent être contrôlées rationnellement. Cependant, ce qui passe à travers les mailles du filet du traitement massif des données et des algorithmes sophistiqués est un concentré de nouveauté radicale, d’incertitude déroutante et de complexité chaotique »[14] rappelle Philippe Lorino.

L’enjeu du pragmatisme pour les organisations est donc le suivant : voulons-nous avancer vers des modèles toujours plus rationnels et abstraits, et toujours plus de contrôle, ou vers un paradigme de l’action collective relationnelle, basée sur des approches participatives et de l’expérimentation ? Il n’est guère besoin de préciser dans quel camp se situe le design du travail, qui se place délibérément dans la filiation de Dewey, Deming et Ohno.

Cette oscillation entre pragmatisme et cognitivisme nous a paru souvent présente dans les situations rencontrées lors de cette étude, sans pour autant que nos interlocuteurs aient l’air d’en avoir une claire conscience. « La technologie n’est en soi ni bonne, ni mauvaise, ni neutre »[15] nous dit Melvin Kranzberg. « Ni neutre » fait référence au fait que sa puissance impose de pouvoir s’appuyer sur un référentiel « politique », autrement dit sur la clarification, le partage et la mise en débat de l’intention qui est poursuivie par sa mise en œuvre. « Dans la perspective pragmatiste, il est essentiel que les sociétés préservent un équilibre entre le développement de moyens technologiques complexes et puissants et la capacité sociale de maintenir l’intelligibilité et la capacité d’action collectives, condition clé de la démocratie » dit encore Philippe Lorino. Transposé à l’échelle de l’entreprise, cela signifie laisser une place au pouvoir d’agir individuel et collectif, et à la participation des travailleurs.

Face à l’accroissement du risque d’hétéronomie par la technologie, la participation des salariés et de leurs représentants à l’analyse et à la construction de leur propre travail, apparaît alors comme un garde-fou indispensable mais fragile.

En résumé : idéalisme / cognitivisme versus pragmatisme

Ce texte est extrait de l’ouvrage :

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pragmatisme

[2] Philippe Lorino, Pragmatisme et étude des organisations, Economica, 2020

[3] Au sens de pratiques professionnelles communes

[4] Fait de croire qu’une chose est vraisemblable, possible.

[5] Inférer la validité d’une théorie à partir d’un nombre limité d’expérimentations.

[6] Louis Menand, The Metaphysical Club: A Story of Ideas in America, 2001, Farrar, Straus, and Giroux.

[7] Dewey, John (1916). Democracy and Education: An Introduction to the Philosophy of Education. New York: Macmillan.

[8] C’est nous qui traduisons : « The tendency to reduce such things as efficiency of activity and scientific management to purely technical externals is evidence of the one-sided stimulation of thought given to those in control of industry. »

[9] L’AFEST (Action de Formation En Situation de Travail), dont la pédagogie est articulée selon le constat que l’expérience de travail ne suffit pas à produire en elle-même des compétences susceptibles d’être réutilisées, mais qu’un temps réflexif accompagné par un formateur est nécessaire pour tirer les enseignements de ce qui s’est passé, analyser les écarts entre les attendus, les réalisations et les acquis, et ainsi consolider et expliciter les apprentissages (www.anact.fr).

[10] Jeffrey K. Liker, David Meier, Toyota Talent: Developing Your People the Toyota Way (English Edition), McGraw-Hill Education, 2007.

[11] « Culture for a digital age », McKinsey Quarterly, 20 juillet 2017.

[12] https://nbry.wordpress.com/2019/04/08/accelerating-new-businesses-at-thales-digital-factory/

[13] Thierry Poibeau, « Emploi, sécurité, justice : d’où viennent les “biais” des IA et peut-on les éviter ? », The Conversation, 4 février 2021.

[14] Philippe Lorino, « Pourquoi une telle actualité du pragmatisme pour la recherche sur les organisations et pour les pratiques de gestion ? », http://knowledge.essec.edu/fr/leadership/pragmatisme-organisation-management.html

[15] Première loi de Melvin Kranzberg, professeur américain d’histoire des technologies. Kranzberg Melvin, « Technology and History: “Kranzberg’s Laws” », Technology and Culture, 27 (3), July 1986, 544–560.

[30] https://philippesilberzahn.com/2011/02/28/comment-entrepreneurs-pensent-agissent-principes-effectuation/

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François Pellerin
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Written by François Pellerin

Conférencier, chercheur associé MINES ParisTech #travail #management #industrie @frpel

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