Organisation Responsabilisante : de l'idée à la réalisation — Préface de JD Senard

François Pellerin
5 min readJul 9, 2024

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Jean-Dominique Senard, Président du Conseil d’Administration de Renault Group nous a fait l’honneur de préfacer notre dernier ouvrage. Voici ce texte qui j’espère vous donnera envie de le lire

“Ces dernières années, l’entreprise responsable a beaucoup progressé, et l’on ne peut que se féliciter de la montée en puissance des politiques de RSE, qui ont atteint un stade de maturité encourageant. Un nombre croissant d’entreprises ont compris la force qu’elles peuvent puiser d’une RSE pensée comme une stratégie issue de leur Raison d’Etre, et pas seulement comme un corpus de discours imposés par l’air du temps et la réglementation.

Si l’entreprise responsable a beaucoup progressé, il reste cependant du chemin à parcourir. Et pour aller au bout de la recherche de performance soutenable, nous devons désormais faire un pas de géant vers l’entreprise… responsabilisante.

Cet ouvrage « Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation » arrive à point nommé, et va contribuer à cet indispensable pas de géant.

Je suis heureux et honoré de le préfacer, afin de partager quelques convictions sur l’urgente nécessité de conduire nos entreprises vers la responsabilisation.

S’il y a urgence, c’est que nous sommes aujourd’hui confrontés à une tension de plus en plus vive entre l’entreprise et le travail. Alors que toutes les études montrent que nos concitoyens croient en l’entreprise, des chiffres préoccupants indiquent qu’ils se détournent du travail. Ainsi, une grande majorité sont convaincus que ce sont les entreprises — grâce à leurs investissements, leurs innovations, leur capacité d’organisation– qui peuvent répondre le plus efficacement aux grands défis de la planète — nourrir, soigner et loger 8 milliards d’habitants, lutter contre le dérèglement climatique, développer la mobilité ; mais dans le même temps, seulement 24% des Français disent que le travail est aujourd’hui important dans leur vie (ils étaient 60% à le penser dans les années 80) et 54% pensent que le travail est plus une contrainte qu’un épanouissement (5 points de plus qu’en 2006).

Faut-il alors s’étonner de l’essor inquiétant du désengagement, voire de la souffrance au travail, sous diverses formes — absentéisme, démissions, ennui, risques psychosociaux ?

Pour expliquer cette désaffection, différentes raisons peuvent être avancées : la dégradation des conditions de travail dans certains environnements, le mauvais équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, la fracture digitale, l’isolement dû au télétravail etc. Mais il y a une explication plus importante : le sentiment d’une véritable perte de sens !

Romain Gary rapporte ce mot de de Gaulle, qui illustre ce besoin de sens : « Il se peut bien que nous allions sur la lune, et cela n’est pas très éloigné de nous. La plus grande distance qu’il nous reste à couvrir gît cependant au fond de nous-mêmes. »

Ce besoin de sens, il est à la fois collectif et individuel — et l’un ne peut aller sans l’autre :

Ce qui produit du sens collectif, c’est la Raison d’Etre, qui a fini par s’installer dans les entreprises. Ce qui produit du sens individuel, c’est la responsabilisation.

Si l’on considère que les trois leviers du sens au travail sont la finalité du travail, le contenu du travail, et la qualité au travail, alors, on mesure mieux le rôle clé de la raison d’être et de la responsabilisation : la raison d’être nourrit la finalité et le contenu du travail ; la responsabilisation nourrit le contenu et les conditions d’exercice du travail.

Dans une entreprise sans raison d’être, mais où le management essaye de donner du sens individuel aux équipes, les salariés avancent, mais ils ne savent pas où ils vont ! Dans une entreprise où il y a une raison d’être, mais pas de sens individuel, l’entreprise avance, mais sans les salariés : l’équation gagnante, c’est donc la raison d’être et la responsabilisation !

Alors, comment faire de nos entreprises des organisations responsabilisantes ? Pour y répondre, cet ouvrage explore avec finesse les différentes dimensions de ce qui est appelé fort justement « la boussole de la responsabilisation ».

Le mot est bien choisi. La responsabilisation est bien une boussole, que les dirigeants et les managers doivent toujours avoir en poche pour mieux surmonter les détours, les fausses pistes et les impasses qui ne manquent pas de ralentir et parfois décourager la route vers la responsabilisation.

Pour avoir expérimenté le processus de responsabilisation chez Michelin, au début des années 2010, avec des équipes exceptionnelles menées par Jean-Michel Guillon (DRH) et Bertrand Ballarin (Responsable des relations sociales), je peux témoigner de la difficulté de la tâche. Nous avons plus d’une fois failli perdre le nord ! Je me réjouis que le livre consacre un chapitre entier à cette magnifique entreprise qui m’a tant appris, et qui résume bien la complexité d’une démarche de responsabilisation, au sein d’un leader industriel mondial à l’histoire emblématique et à la culture extrêmement forte. Le processus de responsabilisation chez Michelin a pris près de 10 ans. Il nous a appris qu’il est bien plus difficile de conduire une transformation de la manière d’être d’une entreprise que de modifier sa manière de faire, alors que les deux sont nécessaires. Il nous a également appris que la nature humaine a de formidables capacités de résistance, reposant sur l’aversion au risque, la crainte, la paresse, l’esprit d’inertie, ou l’incapacité… Enfin, mener Michelin vers la responsabilisation nous a également enseigné qu’un tel processus repose sur deux conditions sine qua non : l’exemplarité des dirigeants, et l’accent mis sur le management intermédiaire.

Car dans une entreprise, les opérateurs, les ouvriers mesurent en général rapidement ce qu’ils ont à gagner d’un processus de responsabilisation — autonomie accrue, plus grande motivation, capacité de mieux progresser. Mais l’encadrement intermédiaire, les agents de maîtrise doivent accepter de changer profondément de mission, de posture, de culture. Pour eux, il s’agit de renoncer à un rôle simplifié d’autorité verticale — commander le matin, superviser l’après-midi, contrôler le soir –, pour passer à un rôle plus incertain, mais beaucoup plus noble et épanouissant, de développement horizontal — accompagner, soutenir, motiver, développer les talents.

C’est pourquoi aller vers une organisation responsabilisante passe à mes yeux par une véritable révolution managériale, reposant sur l’écoute, la considération, l’éthique — conditions de succès du processus de responsabilisation.

Le chemin vers l’organisation responsabilisante est ardu, mais le jeu en vaut la chandelle, car les fruits de la responsabilisation sont tout à fait exceptionnels, et se mesurent sur le long terme en performance économique et financière, en capacité d’innovation, en fidélisation et motivation des équipes. Et la responsabilisation est déjà, en elle-même et à travers la confiance qu’elle nécessite et manifeste, un geste fondamental de respect et de reconnaissance. Je l’ai constaté chez Michelin, mais aussi chez Saint-Gobain, et je le mesure en ce moment chez Renault Group, où notre réorganisation, menée par Luca de Meo, s’est opérée autour d’entités plus autonomes et responsabilisantes, chacune étant tournée vers une chaîne de valeur spécifique (la vente de véhicules électriques et de logiciels, la vente de véhicules thermiques, l’économie circulaire ou les services de mobilité), les équipes étant désormais plus agiles, spécialisés et responsabilisées…

Ce livre est une formidable source d’inspiration. La démarche de responsabilisation qui s’y trouve explicitée, avec ses difficultés conceptuelles et managériales, ses principes, ses points de passage obligés, est un extraordinaire amplificateur d’énergie et une intarissable source d’espoir. Il s’adresse aux dirigeants et managers de tous les secteurs, qui savent que l’entreprise responsable, c’est aussi l’entreprise qui responsabilise, car l’organisation responsabilisante est le seul chemin possible de la performance durable.”

l’ouvrage est en accès libre ici

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François Pellerin
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Written by François Pellerin

Conférencier, chercheur associé MINES ParisTech #travail #management #industrie @frpel

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