La complexité, un défi pour nos organisations
Face à la complexité, lorsque la planification rend les armes et que l’agilité, l’adaptabilité deviennent la norme, comment s’organiser ? Le général Stanley McChrystal nous fait part de son expérience dans Team of Teams (Penguin). Une référence parmi les livres de management.
Irak, octobre 2003. L’armée américaine a balayé l’armée de Sadam Hussein, mais elle fait face à une menace autrement plus dangereuse, Al-Qaïda en Irak. Organisée en réseau, extrêmement mobile et dynamique, utilisant les technologies de communication virales d’aujourd’hui, avec des combattants insaisissables, prêts à se sacrifier à tout moment dans des attentats suicides, l’organisation islamique inflige des coups sévères à la plus puissante armée du monde et impose le chaos et la complexité à son adversaire.
Face à cette disruption djihadiste, Stanley McChrystal qui vient de prendre le commandement de la Joint Special Operations Task Force engage une révolution organisationnelle. Son analyse est qu’il faut adopter une organisation qui permette une grande agilité dans la capacité de réaction, ainsi qu’une totale transparence dans le partage de l’information.
Pour le premier point, il développe l’autonomie des forces spéciales sous son commandement (Navy Seals, Rangers, Army Special Forces) en déléguant au niveau le plus bas possible les décisions qui étaient d’habitude prises à son niveau. La rapidité de réaction est ainsi améliorée drastiquement.
En ce qui concerne le partage de l’information, il met en place une réunion quotidienne “Operations & Intelligence” en visioconférence mondiale entre les représentants des différentes forces spéciales, la logistique, l’armée de l’air, le pentagone, et l’ensemble des services de renseignements (CIA, FBI, NSA).
Cette réunion a permis de casser les silos et de partager l’information de façon transparente. Il instaure une véritable rupture dans la hiérarchie militaire traditionnelle, à la fois verticalement (équipes autonomes) et horizontalement (dé-silotage).
Il établit ainsi la confiance, indispensable à l’agilité ainsi qu’une vision partagée (“Shared Consciousness”). Les équipes autonomes ont en effet besoin de connaître l’environnement dans un contexte large pour prendre les bonnes décisions. Cette team of teams devient d’une efficacité redoutable, fait reculer la menace djihadiste (provisoirement comme l’histoire le montrera), et permet d’éliminer son chef Al-Zarquaoui.
L’intérêt du livre , au-delà de la narration dynamique de l’expérience de McChrystal en Irak, tient aux nombreux exemples illustrant l’autonomie (Nelson et la stratégie brillante et subversive couplée à l’autonomie des ses capitaines, qui lui a permis de défaire la flotte franco-espagnole à Trafalgar), la complexité (l’effet aile de papillon de Lorenz), le partage transparent de l’information (programme Apollo de la NASA, prototype de l’ingénierie système) ou la diffusion virale de l’information (Les images de Tarek Bouazizi qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid ont fait le tour du monde et allumé la mêche des printemps arabes).
Quant à Frederik Taylor, s’il lui est reconnu d’avoir accompagné avec succès la deuxième révolution industrielle à la fin du XIXe siècle, son organisation scientifique du travail, mécaniste et réductionniste, apparaît complètement inadaptée aujourd’hui.
Cette expérience a bien sûr des résonances importantes dans le domaine du management des entreprises. Face à un monde complexe et mouvant, la planification est inutile, car immédiatement obsolète, l’adaptabilité doit être privilégiée. Il en est de même en ce qui concerne l’innovation, qui est aujourd’hui l’affaire de tous, et qui nécessite de casser les silos pour fluidifier la circulation de l’information.
Enfin, McCrystal souligne que la construction de la confiance dans les organisations passe par la constitution d’équipes de quelques dizaines de personnes au maximum (pour que tout le monde se connaisse), coordonnées entre elles (pour décloisonner l’information).
L’autonomie des équipes exige une vision commune qui est fondée sur la transparence et la confiance. Il faut donc débloquer la structure hiérarchique, à la fois verticalement (autonomie) et latéralement (coopération : supprimer les silos pour fluidifier la circulation de l’information entre fonctions de l’entreprise). C’est à cette condition que la vision commune peut être construite.
En effet, les équipes autonomes ont besoin de connaître l’environnement dans un contexte large pour prendre les bonnes décisions. Ces deux déblocages (vertical et horizontal) sont la condition pour créer la confiance entre salariés et dirigeants d’une part, entre fonctions de l’entreprise d’autre part.
Les livres des stratèges militaires ont depuis longtemps inspiré le management des entreprises. Ce qui est sidérant ici, c’est qu’une unité de l’armée américaine, confrontée à une menace nouvelle, insaisissable, complexe, diffuse, mais organisée et utilisant la puissance des technologies virales de communication mises à la disposition de tous, trouve les ressources pour modifier de fond en comble son organisation, en quelques mois, en pleine guerre, pour passer d’un référentiel hiérarchique traditionnel à une structure souple d’équipes autonomes coopérant activement entre elles.
L’urgence de la situation le commandait, mais une entreprise, dans la même situation, aurait-elle eu cette capacité d’adaptation ? Et combien de temps faudra-t-il pour que le modèle hiérarchique français, fils de notre tradition étatique colbertiste et de l’organisation scientifique du travail de Taylor s’adapte au monde qui vient ?
Originally published at http://archives.lesechos.fr on September 1, 2016.